Par Massimo Bergamini

Répondant aux récents appels des transporteurs aériens et des aéroports canadiens, et même d’un important syndicat canadien demandant de reporter le lancement de sa « charte des droits des passagers » prévu pour le 1er juillet, le ministre des Transports Marc Garneau a indiqué au réseau CBC : « Nous travaillons sur ce règlement depuis plus de deux ans. J’ai hâte de le dévoiler. »

Si l’impatience du ministre est compréhensible dans un contexte d’élections générales imminentes, elle l’est beaucoup moins si l’objectif est de mettre en place un système de droits des passagers vraiment fonctionnel.

Et ce ne sont pas seulement les transporteurs aériens canadiens qui avertissent que la mise en œuvre hâtive de ce projet – qui n’est d’ailleurs pas encore finalisé – ne réussira pas à atteindre son objectif de protéger les consommateurs.  L’IATA, qui représente les transporteurs aériens dans le monde, et Airlines for America (A4A) ont également demandé au gouvernement de ralentir la cadence et de bien faire les choses.

Or, non seulement le projet de règlement n’est pas suffisamment clair pour que les compagnies aériennes puissent le traduire en pratiques commerciales quotidiennes, mais il est souvent contraire aux réalités fonctionnelles des compagnies aériennes qui évoluent sur la scène mondiale.

Ce n’est pas une considération banale.

En pratique, cela signifie que la mise en œuvre est rendue plus difficile et nécessitera plus de temps en raison des nouveaux systèmes et des nouvelles procédures qui devraient être mis en place.  Mais surtout, cela signifie que si le gouvernement ne s’attaque à certains des problèmes les plus criants causés par ce règlement, il pourrait dans certains cas aggraver la situation des voyageurs.

Peu importe le temps qu’il aura fallu pour faire adopter la loi par le Parlement et élaborer le règlement, rien ne justifie que le gouvernement fédéral s’empresse de les mettre en œuvre avant de régler leurs problèmes les plus criants ou sans tenir compte de leurs répercussions sur l’industrie du transport aérien commercial et les passagers qu’elle dessert.

Devant un tel empressement, il est bon de réfléchir aux leçons que nous offre la décision du gouvernement fédéral en 2016 de transférer toutes les fonctions du système de paye fédéral au malheureux système de paye Phénix – décision encore d’actualité pour un grand nombre de résidents de l’Outaouais.

Le parallèle entre la mise en œuvre précipitée du système de paye Phoénix et l’empressement du gouvernement fédéral de mettre en œuvre son régime de droit des passagers est instructif — les deux sont caractérisés par un empressement excessif face à une opération complexe.

Dans le cas du système de paye Phénix, les employés fédéraux et les contribuables canadiens en paient encore le prix. Nous ne voulons pas que nos passagers aient à payer la note pour l’impatience du ministre.

Et puis, pourquoi tant d’empressement?

Au-delà d’un symbolisme primaire, y a-t-il une logique inéluctable a cet échéancier du 1er juillet?  Le transport aérien au Canada ou ailleurs dans le monde est-il en proie à une défaillance du marché d’une ampleur telle que des mesures exceptionnelles sont requises immédiatement, même si elles ne sont pas encore au point?

La réponse est non.

Les transporteurs aériens déplacent plus de 350 000 passagers au Canada chaque jour.  C’est presque l’équivalent de la population de la ville de Toronto – chaque femme, homme et enfant – a chaque semaine.

Pour la vaste majorité de ces voyageurs, le vol se déroule comme prévu : agréable et sans imprévu grâce aux efforts de dizaines de milliers de personnes qui travaillent dans les compagnies aériennes, les aéroports, les tours de contrôle aérien et les services de sécurité.

Et plus encore, la vaste majorité de ces voyageurs n’auront jamais à invoquer les nouvelles règles du ministre dans un différend quelconque avec une compagnie aérienne.

Avec moins de 10 semaines avant la date butoir du 1er juillet, le temps se fait court.  Les compagnies aériennes ne peuvent commencer à modifier leurs systèmes, procédures et politiques d’information et de communication, ou à élaborer et livrer des séances de formation pour des dizaines de milliers d’employés avant même de savoir avec certitude ce qu’elles doivent faire.

En tant qu’ancien astronaute ayant effectué trois missions en navette, le ministre Garneau sait mieux que quiconque que l’impatience n’a pas de place dans la planification ou l’exécution d’un lancement réussi.

Même avec le monde entier comme auditoire, des lancements de navettes ont été retardés des douzaines de fois à l’étape des vérifications de lancement – ce qui prouve que parfois, la plus grande vertu est de savoir quand dire « lancement retardé ».

Après avoir dépensé plus d’un milliard de dollars pour essayer de réparer son système de paye et avec plus de 200 000 fonctionnaires fédéraux encore en difficulté, le gouvernement fédéral a annoncé dans son budget de février qu’il prévoyait éliminer graduellement le système Phénix et recommencer à neuf.

Contrairement au gouvernement, les transporteurs aériens et leurs passagers ne peuvent se permettre tant de désinvolture devant de tels gâchis.  C’est la raison pour laquelle nous demandons au ministre Garneau de fair preuve de patience et prendre le temps qu’il faudra pour assurer un lancement réussi.

Massimo Bergamini est le président-directeur général du Conseil national des lignes aériennes du Canada (CNLA).